Episode 2 – La Leucémie de P’tit Vincent

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Gros plan sur le visage de Fernand Beniguet en train de lire le rapport de jour dans son bureau. Eloignement progressif de la caméra pour le situer. Il manifeste son étonnement par un recul sur son fauteuil, relit le rapport et s’interroge visiblement.

Fernand BENIGUET : « Tiens, alors v’là autre chose encore … »

Face à lui l’infirmier M. Muller.

Fernand BENIGUET : « T’as vu ça ? »

M. MULLER : « Ouais ouais ha hein … c’est dingue … »

Fernand BENIGUET : « Des cercles bleus comme ça sur le corps … »

M. MULLER faisant un cercle avec le pouce et l’index : « … gros comme ça … »

Fernand BENIGUET : « Oui ben moi je suis de sortie, c’est mon week-end, mais faut me suivre ça … »

On tape à la porte.

Fernand BENIGUET : « ENTREZ ! »

C’est Mme Triquoire, la psychologue.

Mme TRIQUOIRE : « Bonjour Monsieur Beniguet Bonjour Monsieur Muller, vous allez bien ? ».

On entend Fernand Beniguet répondre « non » M. Muller répondre « oui »

Mme TRIQUOIRE : « … mmmh … je vois que vous lisez le rapport … c’est inquiétant ces cercles bleus apparus soudain sur notre pensionnaire … »

Fernand BENIGUET : « Oui ben c’est le week end et je suis de sortie : je finis à trente … vous tombez bien Triquoire vous allez me suivre cette affaire de ronds bleus … tout bas, très bas, mâchonné entre les dents : avec vot’ sensibilité de bonne femme … Reprend une élocution normale : ha tiens … P’tit Vincent c’est son week-end mensuel chez ses parents … bon dieu … le week end j’lai mérité bon dieu ! » Claque le dossier en le refermant « … comme nous tous hein … » Soupir « … faut encore que je passe voir le chef de poste de la division des dépenses pour les bons obtenus en commissions … pour le pain… font chier avec leurs bons … » Fernand Beniguet est soucieux, et encombré de dossiers. Il commente pour lui-même « Ha … pas perd’ ça … paperasse … même pas une fiche de paie là-dedans bon Dieu … rien d’intéressant … » Il s’en va en regardant l’heure et se grattant la tête, tout à ses préoccupations.

Mme Triquoire se sent investie d’une mission et déclare à M. Muller « M. Muller on va aller voir ça de plus près, c’est tout de même inquiétant … »

M. MULLER : « Affirmatif. »

Ils sortent du bureau que M. Muller ferme à clé.

Dans le couloir : Monsieur Galet court en rigolant se rasant frénétiquement le visage rougi par le feu du rasoir avec Serge le stagiaire qui court derrière ; Monsieur Laurent avec son sac plastique, plante verte, sa radio, en pyjama-robe de chambre-chaussons en voyant les deux hommes tente un « C’est aujourd’hui que je sors … faut m’ouvrir la porte … » que personne n’écoute ; « le maniaque » en robe de chambre – fume-cigarette, avec son élocution maniaque, les croise « Bonjour Madame Triquoire, bonjour Monsieur Muller. » auquel Mme Triquoire répond de son ton habituel « Bonjour Monsieur Leverge. » et M. Muller « … ’jour … » ; « Le Lolo » s’astique en regardant par la fenêtre et se curant le nez avec tous les doigts (successivement) de sa main libre.

Traversée du réfectoire : « Trompe-la-mort » toussant, pétaradant, joue aux petits chevaux avec Anne et Mamy ; « Le Sergent » leur raconte une aventure de guerre dont on entend juste « … alors on mettait des vêtements civils et on bourrait un vieux camion de tout ce qu’on trouvait d’armes déclassées et on déversait ça dans un village pour qu’y aillent massacrer le village d’à côté … c’est des jouets pour eux-z’autes … en Afrique aussi on s’amusait bien … » ; Mme Martineau avec son chariot de nettoyage nettoie à la serpillière un angle de la pièce pendant que « Le Roi » dans son dos se met à uriner dans un de ses seaux ; « Tourne en rond » tourne en rond avec son petit ballon rouge en poussant de petits cris car Mme Florac s’apprête à lui servir un verre d’eau avec du sirop.

Entrée dans la partie homme, couloir. François (le plouc qui patoise, obsédé sexuel, alcoolique et violent) regarde avec intérêt les jambes de Mme Triquoire (jupe au-dessus du genou). Il se dirige vers elle pour lui parler, les yeux fixés sur ses genoux. « Bonjour Madame la spychologue » réponse d’un mouvement de tête de Mme Triquoire et M.Muller.

FRANCOIS : « J’voulais vous parler d’mon p’tit écart d’l’aute jour par rapport au bobia à qui que j’ai mis une rouste pendant mon week end de sortie … Ha dame moi vous m’connaissez : un bobia qui vient m’demander la pièce ?! pan ma main su la goule … j’n’aime point les bondiou d’fainéants et l’était pas poli l’bondiou d’andouille … maudit mangeou d’guêpes … ha dame c’est point com’ ça qui faut m’causeu … »

Mme TRIQUOIRE : « Oui … cela … bon … mais après vous être battu avec cette personne dans la rue, vous y êtes retourné une deuxième fois pour recommencer … »

M. MULLER : « Ben oui quand même … »

FRANCOIS : « Ha mais j’le reconnais ha mais j’le reconnais ! (air de l’enfant qui croit que de reconnaitre une faute est suffisant) J’avais à r’tourner d’où qu’j’venais et l’maudit bobia ‘tait cor’ là. L’avait l’œil poché y pissait du neu l’bondiou couillon tellement bourré qui m’a pas r’connu et r’demandé une pièce ! Dame, un coup de genou pou l’plier un aute pou l’relver pi j’y ai ouvert la gueule à coup de d’tatanes à c’depensou d’monna ! (commence à s’exciter : genoux de Mme Triquoire plus rappel de l’acte de violence, transpiration …) J’y aurais bien arraché les ora mais la police qui fainéantait ces communiss là est v’nue m’emmerder MOI ! HA DAME BON DIOU DES FLICS QUE J’CONNAIS EN PLUS C’EST D’LA TRAHISON D’HONNÊTES GENS ! » (Très énervé).

M. MULLER : « Bref, tu es encore la victime François … on reverra ton histoire plus tard … »

Mme TRIQUOIRE : « Nous reparlerons plus tard si vous le voulez bien de la façon dont vous devriez gérer votre identité … »

Ils reprennent leur marche et arrive devant la porte du dortoir où se trouve P’tit Vincent. Il n’y a là que P’tit Vincent.

P’tit Vincent est un jeune débile profond, maigre. M. Muller lui enlève sa robe de chambre et montre à Mme Triquoire des cercles bleus.

M. MULLER : « Là … là … hein ?… et là … »

Mme TRIQUOIRE : « … ha oui nettement … »

M. MULLER : « … Bon oui hein c’est pas bon ça … et ses parents viennent le chercher cet après-midi pour son week-end mensuel … pas bon ça … »

Mme TRIQUOIRE : « Monsieur Beniguet m’a confié cette affaire il s’agit donc avant tout de procéder à des examens médicaux approfondis. »

M. MULLER : « … et là … »

Mme TRIQUOIRE : « Retournons dans le bureau et statuons si vous voulez bien M.Muller. »

Changement de lieu.

Mme Triquoire et M. Muller sont dans le bureau. Mme Triquoire manie des documents de toute sorte. Scène en accéléré avec retour à lecture vitesse normale pour laisser entendre des brides de ce qu’elle dit.

« Leucémie … relevé des températures … autres maux à déceler … responsabilité du traitement … notre système tout entier est engagé… »

Changement de lieu. L’entrée du pavillon.

Dom ouvre à deux personnes d’une cinquantaine d’années.

DOM : « Bonjour vous allez bien ? Vous êtes venu chercher notre cher P’tit Vincent ? »

Salutations diverses. Pas de son.

DOM : « On y va alors hein … »

Scène en accéléré. Dom les accompagne vers le dortoir (en tenant divers pensionnaires à distance par des gestes impératifs). « P’tit Vincent » a été habillé par Franck qui finit de lui fermer son blouson. Un bagage de « P’tit Vincent » est sur le lit.

FRANCK : « Vous connaissez la maison : faut signer le bon de sortie au bureau … tapez à la porte pas de problème … »

Franck prend le relai à la porte. Dom portant le bagage, accompagne « P’tit Vincent » et l’installe dans la voiture. « P’tit Vincent » émet des cris joyeux. « … gnniiiAAA … gnnaaaIII … »

M. MULLER apparait à la porte du pavillon et parlant fort en direction de Dom :

« Le week-end de sortie est annulé ! Remonte P’tit Vincent au Pavillon ! »

« P’tit Vincent » est installé à l’arrière du véhicule, à côté de lui, son bagage. Dom se tient debout devant la portière ouverte : il vient juste d’asseoir « P’tit Vincent ».

DOM : « Bon ben p’tit gars faut sortir de là … »

P’TIT VINCENT : « …. gnniiiAAA … gnnaaaIII … »

Dom essaie de prendre « P’tit Vincent », de le pousser, de tirer… faire sortir un débile profond de la voiture de ses parents alors qu’il est engagé dedans pour son week-end mensuel qu’il attend en permanence, c’est du sport ! (Nota : cela a été l’expérience – pour moi-même – la plus traumatisante de toutes mes activités dans ce secteur). Trente minutes. « P’tit Vincent » s’accroche de tous ses membres à l’intérieur de la voiture : une fois un bras maîtrisé on veut maîtriser l’autre, libérant le premier… Enfin c’est celui qui a le plus de souffle qui l’emporte ! Les cris de P’tit Vincent sont déchirants.

Changement de lieu. Lundi sur le calendrier.

Fernand Beniguet prend connaissance de l’affaire devant Dom.

Fernand BENIGUET : « Diable ! » dit-il en lisant le rapport.

Il s’empare d’un courrier de type médical qui vient d’arriver et lit à haute voix :

« … bla-bla-bla … on constate des bleus à intervalles réguliers là où ont été posé les ventouses pour l’expertise du cardiologue du centre hospitalier … il ne s’agit en aucun cas d’une leucémie mais d’hématomes provoqués par la lésion de vaisseaux sanguins sur les endroits susmentionnés … »

Fernand BENIGUET hurle : « TRIQUOIRRRRRRRRRRRRRRRRRR »

Fin de l’épisode.

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