Les Amazoniques de Boris Dokmak : summum bonum et crime contre l’humanité

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Quoi qu’on puisse dire d’une œuvre d’art littéraire, dans l’éventualité la meilleure, le critique décèle et déduit les choses habituelles : ce qui est créateur devient symptôme analysé entre instinct et réflexe ; mais, au-delà des déroulements constatés, le critique renonce et se spécialise dans une tentative rationalisante.

Absurdité quand une œuvre d’art littéraire atteint le niveau du thriller « Les Amazoniques » de Boris Dokmak. Nous déchirons donc ici de bas en haut les critiques dont a bénéficié cette œuvre qui a plus à voir avec un « Oro » de Cizia Zyke (1) qui aurait été co-écrit avec un Gérard Manset (2) habité de la folie d’un Aguirre (3), que par les références qui nous sont proposées, références visant à ne pas se plier aux sources préhistoriques de l’âme humaine auquel le lecteur est confronté du prologue au mot fin.

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Entre 1940 et 1967 les américains expérimentent au Venezuela sur les indiens Yanomamis des produits toxiques et radioactifs afin de tester la réaction de leur métabolisme. L’histoire – niée par le gouvernement américain – est transposée en Guyane avec des indiens Arumgaranis (tribu imaginaire) et le héros, Saint-Mars alias « La Marquise », ancien d’Indochine tout en forces émotionnelles négatives, se taille un chemin dans les entrailles d’un monde d’en bas, puis dans la jungle à la recherche d’un ethnologue qui aurait tué un américain.

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Si les expériences faites avec des drogues mènent le civilisé à la régression – et Saint-Mars use « d’un petit nécessaire médical » d’opium et de morphine pour calmer ses douleurs – elles sont, pour le primitif et son monde des esprits, une expérience dite de « visions religieuses ».

Si le mot religion a un sens, c’est celui d’une observation attentive, d’une prise en considération des numina (4) divins  – religere – et non pas comme l’ont imposé les pères de l’église au mot « religio » le sens du mot religare, à savoir relier.

Les primitifs usant de drogue (et l’Amérique du Sud sur ce sujet précis a attiré plus d’un « poète ») se soumettent donc à une forme de mystique « théo-physiologique » sans aucun enrichissement moral et spirituel, se situant plutôt entre ivresse et orgie. Cela tombe bien : Saint-Mars est, pour un civilisé, sujet à de fâcheuses régressions vers la barbarie ; son expérience des perceptions en tant que flic le plus souvent sous l’emprise de la drogue, traquant les images révélatrices dans le cadre d’une enquête, font de lui un mystique de l’analyse : il observe attentivement ceux qu’il tabasse, prenant en considération leurs aveux numineux (4), mettant à nu les sens par la douleur pour faire le lien avec la divine vérité.

Boris Dokmak dès le prologue introduit les sons dans son œuvre : titre du chapitre 1 : PFF-PFF ; titre du chapitre deux : BIP…BIP… ; titre du chapitre trois WOUIN-WOUIN…  puis des bruits étranges ne cesseront de se faire lire ; mais aussi des couleurs : « goût bleu des insectes », « feu bleu » avec, naturellement, des odeurs de pourriture et d’éther, des sensations de lourdes moiteurs, laissant au lecteur rien moins qu’un arrière-goût de purée de boue, d’urine, de matière fécale, de sueur et de sang dans lequel il s’englue, en synchronie avec un Saint-Mars présent au point qu’il semble pour nous tourner les pages tant les impulsions dans l’écriture de Boris Dokmak sont uniques : une purge qui se produirait dans le vide entre le lecteur et lui ; avec une innocente naïveté d’objectivité artistique mise sous notre nez, sans qu’on sorte jamais de l’enfer, alors que l’écriture s’agite comme une mystérieuse flamme de salut auquel le chien « Ducon » qui a adopté Saint-Mars, pas plus que le lecteur, n’aura droit.

A l’exaltation permanente des activités sensorielles, s’ajoutent de méticuleuses observations dans un mélange entre psychisme subjectif et réalité objective où se mêlent l’absurde, le sinistre ; si quelqu’un en tenant ce livre est mécontent – ô délice – ce n’est pas le lecteur : c’est Saint-Mars !

Surprenant, conséquent travail d’écriture qui ne dévoile jamais son intention finale où la perception du sombre de l’esprit du monde est tout, où la moindre beauté vous tombe dessus telle une anomalie, un incompréhensible : la (dé)composition est totale. Rapidement la couverture rouge-sang des éditions Ring devient peinture, rejoignant la littérature (non) contenue en une unité destructrice.

L’exacerbante beauté de la laideur fuit les niaiseries symboliques habituelles pour la vision d’un décadent excluant tout autre esprit de synthèse qui n’appartiendrait pas à la mort elle-même, qui devient sens unique tournant en dérision toute vie, en lui faisant injure, oui, mais injure de qualité rendant hommage au monde : art de l’envers et envers de l’art, Boris Dokmak se débarrasse dans cette œuvre d’un vieux monde dont nous vivons l’avenir.

L’avenir, c’est la science … et l’on peut dire que la science, ça ne va pas vite, pas plus vite qu’une navigation « sur un vieux luncha, tout en bois et en rouille ». La science semble dans cette œuvre un mythe, autant que ces indiens Arumgaranis ; il est évident que Boris Dokmak préfère l’histoire humaine, la vraie, à la dénaturation mythologique. Si la science nucléaire est l’héritage de milliers d’années d’évolution, on peut se demander si les mythes dont s’entoure l’humanité méritent l’estime. On peut croire mais on aimerait comprendre : les lois de la nature sont devenues abstraction au point qu’il a été testé du radioactif sur de pauvres gens, devenus chiffres et statistiques et non des réalités… science où l’existence individuelle est devenue exception. Les indiens Arumgaranis sont un groupe, une masse et des expériences tentées sur eux, nul ne veut assumer la responsabilité à titre individuel. Détestable ? Pire : inhumain, animal.

Il n’est – en apparence – aucun développement de l’homme intérieur dans ce livre où l’auteur présente des faits dont on nous assure qu’ils n’existent pas. De quoi se demander également quelle nation ne massifie pas sa population au nom de la science, bien qu’il n’en soit pas autrement en religion, censée se tourner vers l’intérieur.

Peu importe, bien que nous soyons tous des exceptions statistiques sans valeur aux yeux des américains, des russes et autres nazis ou religieux si prompts à voir la paille dans l’œil du voisin, n’importe qui peut tirer les mêmes conclusions que nous, pourvu qu’il ne fasse pas parti de ces messieurs qui s’acharnent à nier la vérité de l’homme et les valeurs individuelles indispensables à la vie. Cette véritable jungle-énigme d’ignorance, véritable montagne de préjugés et de paresse intellectuelle que l’homme ne comprend même pas – c’est-à-dire qu’il ne la contient pas en lui – ne sera jamais complétée, tandis que chaque parti veut poser le dernier mot sur la base d’une terra incognita telle qu’elle apparait sur la carte qu’a devant lui « La Marquise », là où vivent les Arumgaranis.

Pour comprendre Saint-Mars, il faut se demander, en fin de compte, s’il ne vit pas tout simplement en modeste harmonie avec la nature qu’il découvre car il n’est pas transformé par ce qu’il voit. Il est l’être A qui ne devient pas être B grâce à une vision qui par A + B pourrait créer l’être C (5). Quelles que soient ses névroses, ou pas, c’est le lecteur qui passe de A à C dans un final magnifique où la finesse suprême de l’auteur est de faire de vous un homme qui en a assez d’être inconscient.

Que peut souhaiter de plus un auteur ?

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Ne nous reste plus qu’à remercier Boris Dokmak pour son livre sérieux, aux vastes propriétés dynamiques politiquement et socialement « ancrées en Dieu » : nous voulons dire par là qui laisse le sentiment obscur, forcément obscur, de ne pouvoir arrêter quoi que ce soit sur la nature d’un Dieu tout en étant une profonde expérience intérieure vivante, différente de la nature profonde des choses ; un livre support saisissant de significations, un complément aux insuffisances de notre temps sans franchir la limite : quel lecteur ne se demandera pas ce que devient réellement Saint-Mars ?

Aucune foi – statistique, scientifique ou religieuse – ne saurait y répondre, tout comme les Etats-Unis ne répondent pas de ces expériences-crime contre l’humanité.

Editions Ring

 

(1) « Oro » de Cizia Zyke : http://www.dailymotion.com/video/x5el5v_apostrophes-cizia-zyke_music

(2) Gérard Manset – De l’album « Manitoba ne répond plus » Ô Amazonie : http://www.dailymotion.com/video/x7pkw5_manset-o-amazonie_music

(3) « Aguirre, la colère de Dieu » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Aguirre,_la_col%C3%A8re_de_Dieu https://www.youtube.com/watch?v=FXk3tOEOS9U

(4) numina : https://fr.wikipedia.org/wiki/Numen

(5) C comme conscient

 

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