Critique de « La vie après la mort » de Damien Echols : « Damien Echols, de l’homme d’aujourd’hui à l’homme originel »

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En lisant « La vie après la mort » de Damien Echols vous êtes dans la position avantageuse de celui qui, au sommet d’une montagne, regarde un voyageur avancer et vous savez qu’il lui faudra tant et tant de jours pour parcourir son chemin ; en quelque sorte vous voyez son avenir, d’un point de vue élevé embrassant à la fois le passé, le présent et le futur…

Nous sommes en 1993, état de l’Arkansas, trois enfants de huit ans sont retrouvés mutilés et exécutés aux abords de la petite ville de West Memphis. Trois adolescents, Jessie, Jason et Damien sont désignés coupables. Damien, persécuté par la police locale, a le tort de se vêtir de noir et d’écouter du « heavy metal » ; pour une population du sud profond des Etats-Unis, pauvre, dont le niveau d’étude ne dépasse pas le CM2, il est naturellement membre d’une secte satanique. Des aveux dictés par la police à Jason, déficient mental, des interrogatoires dirigés, de faux témoignages, des preuves falsifiés, des médias-menteurs pour qui l’information doit être inventé de toutes pièce pour se faire valoir : Jessie et Jason sont condamnés à perpétuité, Damien est envoyé dans le couloir de la mort.

Une immense chaine de solidarité réunissant Peter Jackson, Johnny Depp, des centaines de milliers de partisans, œuvrera sans relâche pour obtenir un nouveau procès. Revirement stupéfiant des événements, les trois hommes seront libérés en 2011 dans le cadre de « l’Alford Plea » qui ne remet pas en cause le système judiciaire entre les mains d’élus, d’élus politiques… et permet au coupable, désormais connu par les tests ADN, de ne pas être inquiété. Oui, vous avez bien lu : un tueur de trois enfants de huit ans est aujourd’hui un homme libre en Arkansas.

Mais qu’est-ce que la prison ? La prison est cet espace validé par la collectivité par lequel il nous semble que, quand nous y mettons un prisonnier, le fait qu’il franchisse la porte renforce notre respectabilité, sans qu’habituellement nous soyons réellement éclairé sur nos vices et nos vertus. La prison – et qui plus est « the death roll », le couloir de la mort – est une chose terrible. N’ayant jamais mis les pieds dans une prison mais bénéficiant d’une certaine expérience professionnelle au sein d’un pavillon de sécurité psychiatrique, ce qui demeure pour moi-même étonnant, c’est que rien chez Damien Echols n’a jamais été, n’est et ne semble jamais pouvoir être d’origine traumatique.

Issu d’un milieu misérable où « il avait à se battre contre les cafards pour avoir des corn flakes », vivant de masures à demi écroulées en parcs de mobil homes, issu d’une « famille » si pauvre que « seul un toxico se donnerait la peine de les cambrioler » Damien Echols nous dépeint l’Amérique de son enfance dans toute sa misère. L’Amérique des petits boulots – et notamment celui dans une cuisine où « on aurait pu littéralement vomir sur le sol sans que personne ne le remarque » –  l’Amérique de ces baptistes et évangélistes en transe à la fin de l’office, l’Amérique aux citoyens inférieurs qui n’ont pas les moyens de se défendre en justice et comme pour beaucoup de pays, l’Amérique aussi des vermisseaux qui se nourrissent en bons consommateurs, aveuglément, de la terre qui les entoure et dont la seule impression qu’ils retirent de la vie ne sera jamais que le mouvement que leur procure le frottement de leur corps contre la matière.

Beaucoup ont en effet choisi de n’avoir que peu de connaissances pour conserver leur « liberté d’action » et leur âme se meurt puisqu’ils acceptent de devenir inconscients : ils ont la mort dans l’âme, ce sont des spectres, des masques… et quel est ce masque ? Je  crois que c’est celui de la peur, la peur de gens qui ont renoncé à la vie. Mais Damien Echols « endurci » par les coups de son « père » n’a pas fait ce qu’on attendait de lui, il n’a pas disparu avant son exécution, nul n’a pu le tuer avant sa mort, nul n’a pu arracher Damien Echols à lui-même et tout aura été tenté dans ce but. En effet, contrairement à bien des clichés, dans le couloir de la mort ce ne sont pas nécessairement les autres détenus qui sont le danger, même si le plus souvent ce sont des hommes-bêtes, des malades mentaux aussi ridicules qu’infernaux, le plus grand danger ce sont les gardiens, l’administration.

Le couloir de la mort n’est pas le lieu où se bousculent les gens normaux. Entre les sévices des gardiens, une administration folle, la saleté, les rats, les insectes, la malnutrition et les détenus, la désorientation est totale. L’exemple de la pornographie en prison, sa circulation, est la chose la plus effroyable qui soit : un collectionneur proposant dans des boites d’allumettes des découpes d’anus et de seins en provenance de magazines argumentera avec une morale, ô combien pointilleuse, que les coudes et avant-bras ne sont pas des organes essentiels…

Ce qui est remarquable chez Damien Echols c’est sa force vitale élémentaire, son aptitude à chercher refuge en lui-même. Ses différents points d’incarcération sont autant de stations dans un processus visant à maitriser les émotions par le yoga, en allant du mysticisme chrétien à la kabbale, de la pensée orientale à l’ancienne religion égyptienne, de la poésie à l’histoire, la « catégorie unique » n’étant pas pour celui qui refuse d’entrer dans le jeu, préférant le voyage dans ses propres profondeurs, ses « terriers mentaux », son « pays de Nod ».

Aspiré par le gosier d’un monstre, il étouffait mais ne s’est pas laissé broyer. Se servant de toutes les matrices provenant de nos images primordiales, les images de l’homme originel vieux de deux millions d’années, un phénomène que l’on appelle celui de la renaissance fait aujourd’hui de lui un genre de vieux nouveau-né. Son épouse Lorri n’y est pas pour rien… mais c’est à vous et à vous seul de découvrir cet aspect particulier des choses car en effet je me dois de conseiller rigoureusement ce livre pour ce qu’il apporte.

La construction même de l’individu Damien Echols, est une pyramide, l‘étroite cellule dans laquelle il est enfermé 23 H sur 24, une chambre funéraire de pharaon aux surfaces lisses, polies et réfléchissantes comme son écriture symbole de lumière et de rayonnement, en même temps que cette construction est protectrice, indivisible et impénétrable comme la pierre. Ces sens derniers ne s’appliquent pas qu’à l’Egypte mais aussi au Mexique, à l’Asie où, comme il se doit dans toute pyramide, édifiées pour l’éternité, les substances se perdent jusqu’à se rencontrer en un point unique qui est le sommet, le couronnement de la tombe, à la fois lieu de l’enfantement et résidence du dieu.

Cet ultime, cet absolu, est très présent chez Damien Echols : sa recherche spirituelle, ses tatouages – pour qu’aucune craquelure caractéristique de la décomposition n’apparaisse (1)  – tout cela défie l’idée même de temps. Sa vie mise à nue devant tous par les médias, ses carnets intimes d’adolescent, sa mère et ses « petits numéros » pour attirer l’attention sur elle, tout ce qui était destiné à l’enfoncer n’a pas fonctionné : il a pénétré dans la dynamique de la vie sur la base carrée de sa cellule pour arriver à un point où son esprit est devenu le cristal le plus pur au sommet de son corps, son esprit en lui ce point qui est l’expression de la conscience de son individualité.

Damien Echols l’a bien compris, les dogmes religieux sont des murailles issus des rites premiers visant à chasser les esprits pour éviter la possession. Il re-cite d’ailleurs trente-neuf fois dans « La vie après le mort » le mot « magick »  c’est-à-dire, en réalité, qu’il procède en toute chose de la façon la plus analogique qui soit pour garder  la raison, cherchant à produire l’évènement secourable ; sachant que l’on ne peut organiser sa défense aux USA si l’on n’a pas d’argent, si les gens ne s’étaient pas mobilisés, il serait mort … « magick ».

Quant à nous, nous devons être capable de critiquer nos autorités et ne devons pas craindre d’être foudroyé, nous ne devons pas craindre l’affrontement. Ne nous sentons nous pas compétents pour critiquer la bible ? Qu’y avait-il pourtant de plus tabou, avant-hier ?

Vous vous battez pour une politique, pour une religion, pour une civilisation ? Je suis d’avis tout au contraire que ni la politique, ni la religion, ni les civilisations ne sont les choses les plus puissantes de l’univers humain. Tout est d’abord psychique… « seulement » psychique et si l’on parle de renaissance et qu’on en est tout rempli, ne parlant que d’éliminer telle politique, telle religion, telle civilisation et qu’on s’en contente on est loin de la réalité de ce qu’il y a à faire. On est un « administrateur » et on ne vaut pas mieux que le système judiciaire américain.

Il s’agit d’être ou ne pas être – spirituellement parlant – pour bien tenir sa position sur la terre. En lisant ce livre vous saurez sans doute mieux ce que peut-être la mort…. peut-être quelque chose qui par analogie ressemble à l’hiver, saison de la neige (2) qu’il affectionne particulièrement, comme tout ce qui est « magick ». Et, si je me dois de conseiller ce livre pour ce qu’il apporte, je me dois de témoigner qu’il m’a remis en mémoire cette vieille formule aux origines premières – vitale – selon laquelle

la mort est « un espace sans limite, indéterminé, sans intérieur, sans extérieur, sans haut ni bas, ni ici ni là, ni mien ni tien, ni bien ni mal, une eau où plane tout ce qui est vivant, l’âme de tout ce qui vit inséparablement du ceci et du cela, l’endroit où l’on ressent l’autre en soi et où l’autre me ressent en tant que moi ».

C’est également un vol au-dessus du mécanisme judiciaire américain, composé d’élus aux ambitions politiques personnelles, qui vous est proposé dans ce livre. Un combat extraordinaire et désespéré pour empêcher l’état d’Arkansas de tuer un homme innocent et stopper une mécanique infernale qui a volé 18 ans de leur vie à trois adolescents américains.

Pendant que d’autres s’enferment eux-mêmes dans une prison mentale en croyant qu’elle est un refuge, Damien Echols, condamné à mort mais pas condamné à la mort intellectuelle, s’est donc approché de l’homme originel quand tout essayait de mettre un barrage entre cet homme et lui. Un exploit moral qui ne manquera pas de vous bouleverser.

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Gallerie photo

 

(1) Penser aux bandelettes de la momification…

(2)  Recouvrant littéralement la terre d’un manteau, la neige, silencieuse, est souvent vécue comme isolant les sens des distractions du monde extérieur. Toutefois la neige peut également être extraordinairement active : elle scintille, tourbillonne, virevolte et transforme l’environnement de manières aussi variées que les paysages eux-mêmes. Pour cette raison, des cultures comme celles des Inuits possèdent d’innombrables manières de la décrire (Edward T. Hall). Ambiguë, la neige est magique et dangereuse, douce et envahissante. Elle enfouie tout ce qu’elle recouvre mais conserve une affinité avec les hauteurs, s’accrochant aux toits et aux branches, s’attardant sur les pics montagneux à toutes les saisons, une image de pureté détachée et de sagesse majestueuse. La neige peut également représenter « la terre gelée » psychique des sentiments que l’on a réprimé ou dissocié pour se protéger. Avec le temps, peut-être, ces sentiments pourront se réveiller, quand la conscience sera en mesure de supporter le dégel.

Les flocons quant à eux peuvent délicatement souligner la forme d’une branche d’arbre ou de lignes téléphoniques, ou s’amonceler en réduisant un paysage à sa topographie de base. Mais la boule de neige aspire à devenir cette forme platoniquement parfaite : la sphère…

Par ailleurs l’alchimie représentait Saturne (associé au froid et à la période la plus sombre de l’année) comme le gouverneur de la prison de Sulfure, esprit motivant de la volonté. Le sulfure peut bruler dans les profondeurs sans émettre de lumière, ou rougeoyer sans consumer, mystère de la compulsion inconsciente et de la volonté consciente.

 

RING Editions 

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